Le régime cétogène dans les épilepsies pharmacorésistantes de l’enfant

Le régime cétogène dans les épilepsies pharmacorésistantes de l’enfant

Introduction

Le régime cétogène est un traitement des épilepsies dont l’efficacité a été prouvée par des essais cliniques1,2. Il peut être utilisé pour certaines épilepsies pharmacorésistantes ou pour certaines maladies métaboliques avec épilepsie (comme le déficit en transporteur de glucose de type GLUT1). Il consiste en une modification de l’alimentation importante et contraignante qui doit être débutée, maintenue et suivie par une équipe de soins avec de l’expertise dans ce domaine. Le régime doit être riche en lipides et pauvre en glucides, avec généralement deux à quatre fois plus de gras (lipides) que de non gras (glucides et protéines). Le ratio lipides sur glucides et protéines est classiquement de 3:1 ou 4:1. Il existe différentes formes de régime cétogène telles que le régime cétogène classique, le régime modifié d’Atkins (moins contraignant que le classique), ou le régime à index glycémique bas.

Les diététiciennes du Centre de référence épilepsies rares de l’hôpital Robert-Debré publient chaque mois des recettes cétogènes.

Historique

La première suggestion de l’efficacité d’un régime pour traiter l’épilepsie a été faite par les français Guelpa et Marie en 19113,4. Ils ont développé cette diète thérapeutique afin de mimer le jeûne pour traiter les épilepsies. Dix ans plus tard, les médecins de la clinique Mayo ont développé un régime cétogène riche en lipides et pauvres en glucides et protéines, toujours dans le but de traiter des patients atteints d’épilepsie5-7. En 1927, Talbot utilise un régime cétogène proche de celui que l’on connait à l’heure actuelle, avec un ratio 4:18-9. De nos jours, l’efficacité du régime cétogène sur les épilepsies de l’enfant a été démontrée dans plusieurs essais cliniques randomisés10-11, ainsi que dans des études prospectives sur des syndromes épileptiques spécifiques12. Des recommandations sur la prise en charge clinique optimale d’enfants traités par des thérapies alimentaires ont également été publiées en 201812. En se basant sur la littérature, on observe une diminution de 50% des crises chez à peu près la moitié des patients après trois mois de régime, avec un nombre de crises diminué dans les deux premiers mois du traitement chez la majorité des patients répondeurs.

Indications

Le régime cétogène peut être particulièrement efficace pour certains syndromes épileptiques. Il peut d’ailleurs être utilisé très tôt dans la prise en charge de certains cas. Ces épilepsies sont le syndrome des spasmes infantiles (anciennement syndrome de West), le syndrome de Lennox-Gastaut, le syndrome de Dravet, la sclérose tubéreuse de Bourneville, l’épilepsie avec crise myoclono-atonique (anciennement syndrome de Doose), mais aussi le syndrome d’Angelman, les maladies mitochondriales, le syndrome épileptique lié aux infections fébriles (FIRES) ou l’état de mal super-réfractaire13. Pour des maladies métaboliques comme le déficit en transporteur de glucose de type GLUT1 ou le déficit en pyruvate déshydrogénase, le régime cétogène est le traitement de référence (voir Tableau I)13. Il apporte une source d’énergie alternative sous forme de corps cétoniques. Le régime agit sur les crises d’épilepsie mais il peut aussi avoir un effet sur le comportement et la cognition. Dans certains cas, il peut améliorer l’attention et la concentration, mais cela ne peut être la raison de la prescription du régime.

Le régime cétogène peut cependant être contre-indiqué. Le médecin qui décide de sa mise en place vérifie l’absence de ces contre-indications pour chaque patient13.

Tableau I : Exemples d’indications du régime cétogène

Hypothèses sur les mécanismes d’action

Les mécanismes d’action du régime cétogène sont encore mal compris. Il existe plusieurs hypothèses mais il est clair que l’effet du régime cétogène est lié à de multiples mécanismes dont la production de corps cétoniques, la restriction d’apport en glucose et la transformation des acides gras. De plus, ce régime augmenterait la quantité de neurotransmetteurs inhibiteurs (GABA ou acide gamma aminobutyrique).

Le microbiote semblerait également jouer un rôle mais cela reste à préciser en pratique clinique.

Mise en place du régime cétogène

Chez l’enfant, la mise en place du régime cétogène se fait en milieu hospitalier, avec une équipe de soins et de diététique formée au régime cétogène. Cette période d’initiation en milieu hospitalier permet à la famille de mieux appréhender le régime et d’être formée et informée. Historiquement, le régime cétogène débutait par une période de jeûne de 24 à 48 heures afin d’induire rapidement une cétose, mais cela n’est plus appliqué en France à cause d’une mauvaise tolérance (risque d’hypoglycémie)14. Des études ont d’ailleurs montré qu’il n’y avait pas de différence sur le contrôle des crises à 3 mois de régime entre l’instauration progressive du régime ou l’instauration avec une période de jeûne initial. Cette pratique reste utilisée en cas d’urgence pour contrôler plus rapidement les crises. L’équipe formée au régime cétogène reste disponible pour des ajustements lors du retour à domicile et les premiers mois. Un suivi régulier devra être établi, ainsi que des bilans systématiques de dépistages des éventuelles complications. Des recommandations pour la mise en place du régime cétogène ont été publiées en 2018 comportant notamment une évaluation à réaliser avant mise en place d’un régime cétogène12.

C’est généralement entre la deuxième et quatrième semaine du traitement que l’on commence à observer une réponse au régime cétogène. On maintient habituellement le régime 2 à 3 mois avant de conclure sur son efficacité car il existe des répondeurs tardifs12. Lorsque le régime est efficace, il est souvent maintenu pendant 2 ans, avec la possibilité d’augmenter progressivement les parts de glucides si on utilise une version du régime modifié d’Atkins. Le régime peut être prolongé dans certains cas, et même le plus souvent indispensable à vie pour les patients atteints de déficit en transporteur de glucose de type GLUT1 ou de déficit en pyruvate déshydrogénase.

Effets secondaires

Le régime cétogène peut entrainer des effets secondaires. Les effets indésirables les plus fréquents sont généralement des troubles digestifs (constipation, diarrhées, vomissements, maux de ventre) qui sont souvent pris en charge assez facilement. Il y a parfois des atteintes digestives plus sérieuses comme des cas de pancréatites et d’hépatites. C’est pour cette raison que les troubles digestifs qui persistent doivent être évalués avec l’équipe experte du régime cétogène. Rarement, on peut observer une hypoglycémie ou une hypercétose, en particulier chez les nourrissons chez qui cette complication est plus fréquente. Les hyperlipémies sont généralement transitoires.
En cas de pleurs ou de douleurs abdominales, il faut rechercher la présence de lithiase rénale. Même si cela est très rare, il faut le vérifier. Des carences vitaminiques ont été décrites par le passé, mais cela ne devrait plus se voir grâce à la surveillance et à la mise en place d’une supplémentation en vitamines et en oligoéléments quand cela est nécessaire.

Il est fondamental que les enfants sous régime cétogène soient suivis régulièrement par un diététicien et un neurologue. Initialement, les enfants sont vus tous les 2-3 mois, puis après 1 an de régime, la surveillance s’espace à tous les 6 mois. Le poids, la taille et le périmètre crânien sont mesurés à chaque visite pour assurer un suivi de la croissance dans ce contexte de modification des apports nutritifs. La compliance au régime, son efficacité sur les crises et sur le comportement, sa tolérance et les éventuels effets secondaires sont aussi évalués. Les traitements sont également réévalués. Si le régime cétogène fonctionne, les antiépileptiques peuvent être diminués, voire arrêtés. Des examens complémentaires de suivi peuvent être réalisés. Enfin, pour les patients traités sur le long terme, il est conseillé de réaliser régulièrement une ostéodensitométrie.

Conclusion

Aujourd’hui, le régime cétogène n’est plus la dernière option thérapeutique pour les épilepsies pharmacorésistantes. Ses effets sont mieux connus et les médecins l’utilisent donc plus facilement. Tous les services de neurologie pédiatrique de France le pratiquent14. Son efficacité a été montrée dans des études randomisées. Des recommandations internationales sur son usage ont été publiées. Cependant, malgré l’utilisation du régime modifié d’Atkins qui est moins restrictif, il reste un traitement contraignant et sa bonne observance reste fondamentale. Ses effets indésirables sont peu fréquents mais un suivi régulier doit être établi.
De nombreuses pistes de recherche restent à explorer concernant ce type de régime. Son mécanisme d’action est notamment toujours à définir plus précisément.

Article rédigé par le Pr Stéphane Auvin, le Dr Blandine Dozières, Sophie Höhn et les diététiciennes de l’hôpital Robert-Debré Katia Geraldes, Céline Perrot et Virginie Quéméner – Mars 2022

Bibliographie

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